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Argumentaire spatial

Marie DURAND YAMAMOTO

Marie DURAND YAMAMOTO

Narrative Environments and Experience Designer

Sommaire

Les salons exploitent de plus en plus les réseaux sociaux pour raconter leur histoire. Mais qu’en est-il de l’expérience spatiale de l’événement, l’expérience véritable, là où les différentes identités se côtoient et doivent s’affirmer ? Cette complexité propre au monde du Salon est difficile à appréhender. Comment raconter une histoire commune qui soit à la fois claire pour le visiteur, cohérente pour les marques présentes et alignée avec la vision du salon lui-même ?

Introduction – l’entrée en matière

Comme dans un film, un morceau de musique ou un livre, l’accroche est aussi fondamentale dans un argumentaire spatial. “The threshold” est le terme utilisé dans l’étude des environnements narratifs car il signifie en anglais autant le seuil que le commencement : véritable introduction, l’expérience vécue jusqu’à l’entrée du salon constitue les premiers éléments de l’histoire. C’est un moment préparatoire où l’on découvre, chronologiquement, la nature du salon, le thème ou parti pris ainsi que les règles à respecter. Espace privilégié pour le salon, c’est l’occasion pour lui d’accompagner, et de plonger progressivement le visiteur dans l’univers de sa marque et de lui donner les premiers indices de l’histoire qu’il veut lui raconter. Si l’on analyse l’exemple du SPACE(1), la marque du salon se décline dès l’enceinte de la Gare de Rennes jusque sur les routes menant à celui-ci par des panneaux spécifiques ajoutés à ceux de la circulation pour l’occasion. Une navette est d’ailleurs mise à disposition pour ceux qui sont à pieds. Le visiteur est donc pris en charge dès son arrivée et est accompagné sur toute son expérience pré-salon.

On retrouve cette stratégie à la Japan Expo qui occupe les panneaux d’affichage dans les gares jalonnant le trajet pour accompagner à sa manière les visiteurs qui se voient plonger petit à petit dans l’univers des mangas et des cosplays. Par ailleurs, l’extrême organisation du parking du SPACE(1) et la gestion parfaite du grand nombre de voitures dans l’enceinte du terrain dédié au salon nous renvoie une image du professionnalisme et du pouvoir industriel du monde agricole. Une image appuyée par l’exposition dès le sas d’entrée de grandes machines agricoles, impressionnantes par leur complexité et leur grandeur. L’entrée du salon est également le lieu de la première rencontre des différents acteurs : les visiteurs ont un premier contact avec le staff d’accueil et avec les autres visiteurs. Ils perçoivent les hiérarchies, les rôles de chacun et eux-même finissent par endosser leur rôle dans l’histoire en tant que VIP, exposant ou simple visiteur. Spatialement et temporellement, les expériences d’entrée se distinguent généralement selon les différentes populations conviées (files d’attente séparées / portes d’entrée différentes / badges distincts) et celles-ci doivent répondre à certaines règles associées à leur statut (accès restreints / services associés).

L’introduction est donc un espace privilégié et décisif pour poser le cadre de la narration ; de même l’expérience à l’arrivée du salon doit être conçue pour accompagner au fur et à mesure le visiteur dans la découverte et l’appréhension de son propre rôle au sein de celui-ci.

(1)SPACE : Salon International des Productions Agricoles. Un des plus grands salons mondiaux agricoles se déroulant à Rennes, rassemble chaque année plus de 100 000 visiteurs dont 10% d’internationaux    

Développement – argumentaire

Comme dans un argumentaire, le développement est la partie délicate et complexe où le narrateur, ici le Salon, doit développer, illustrer, défendre ou nuancer son propos afin d’amener son lecteur, le visiteur, à se construire une opinion par rapport à son discours. “The Narrative” en anglais, terme utilisé pour définir le récit contient également des notions intéressantes de temporalité et de moyens de narration : l’argumentaire spatial doit créer une temporalité et un rythme propre s’appuyant sur des éléments spatiaux marquants. Dans cette logique, l’idée est de ne pas construire cet argumentaire autour des individualités (marques / entreprises  / créateurs /  fournisseurs )  présentes  dans  le

« L’argumentaire spatial doit créer une temporalité et un rythme propre s’appuyant sur des éléments spatiaux marquants. »

salon mais bien de faire participer et inscrire ces identités dans le rythme donné par le Salon. La biennale des Antiquaires est un très bon exemple de construction spatiale indépendante des participants. Les hauteurs séparant les différents espaces d’exposition qui occultent une grande partie de l’intérieur sont rythmées par les ouvertures fines qui permettent au visiteur de capter par intervalles irréguliers des notes de couleurs et matières diverses. Les individualités sont ici totalement remisées au second plan au service de la cohérence et de la narration spatiale. Ces dernières sont au contraire mises en valeur par une exposition intimiste, plus propice à l’observation minutieuse et attentive des oeuvres.

D’une autre manière, Première Vision repose sur une narration proche avec la standardisation des stands et son rythme régulier presque métronomique, où les individualités s’effacent, mais sont mises en valeur par des moments d’élévation à la fois temporels et spatiaux au niveau des îlots de créativité ou de tendances que l’on retrouve à différents endroits du salon.

L’uniformisation visuelle n’est heureusement pas le seul moyen de construire un développement narratif.  Il est essentiel de travailler le positionnement des marques, les aligner sur un caractère particulier qu’elles ont en commun ou encore créer un dialogue entre elles afin de les inscrire dans la logique définie par le salon. L’espace Uncover, par exemple, du salon de la lingerie Eurovet réunit avec brio les nouvelles marques autour d’une notion de fraîcheur portée par un espace aux tons pastels et naturels et souligne les petites collections autour de détails délicats et fragiles. Les marques s’y retrouvent, et s’inscrivent dans un collectif qui les met en valeur dans cette “bulle” au rythme décalé, comme en suspension dans le salon. Dans cette scénographie, le visiteur n’évolue donc plus entre les différents univers de marque mais dans une seule histoire narrée par le salon et alimentée par les marques qui, quelque part, en deviennent elles-mêmes les narratrices successives.

« Le visiteur n’évolue donc plus entre les différents univers de marque mais dans une seule histoire narrée par le salon et alimentée par les marques qui, quelque part, en deviennent elles-mêmes les narratrices successives. »

Conclusion – une sortie grandiose

Une conclusion reprend généralement les principales idées d’un développement et ouvre la réflexion sur un concept ou une projection plus large de la question. La conclusion spatiale d’un espace ne reprend pas forcément les grands chapitres de son développement narratif mais est néanmoins construite comme une ouverture. Un dernier espace qui a pour but de marquer le visiteur en lui laissant un « take-away », ce petit plus avec lequel on repart après avoir vécu une expérience : un sentiment, une opinion, une connaissance, un plus matériel ou immatériel qui constitue ensuite la base d’un souvenir. Aujourd’hui la plupart des salons ont un espace d’entrée jouant également le rôle d’espace de sortie : un sentiment de retour à la case départ en quelque sorte qui fait penser au rythme cyclique des salons mais qui n’offre pas de réelle clôture dans l’expérience vécue. Le meilleur exemple est sans conteste celui du salon Who’s Next 2016 qui répond à cette problématique avec un espace de circulation pensé latéralement sans notions d’entrée et de sortie, qui permet une circulation bi-directionnelle offrant une expérience identique à l’entrée comme à la sortie. Un dernier passage sur la “plage” qui laisse une impression agréable de “vacances” à la sortie – thème de l’édition 2016. Un “take-away” immatériel qui est donc ici un sentiment nostalgique des vacances passées qui se sont prolongées le temps du salon. Le momentum du mois de septembre participe également à renforcer cette émotion.

La conclusion, soit les derniers instants du visiteur dans l’enceinte du salon, est un moment précieux à travailler et a autant d’importance que l’entrée, peut-être même plus. Le salon doit marquer, et accompagner le visiteur sur son départ afin de prolonger son influence de manière immatérielle. Autour de la comparaison entre salon et média, se pose la question de la capacité à affirmer son positionnement auprès des marques qui, aujourd’hui, ne sont pas habituées à devoir s’inscrire dans une histoire et une narration qui n’est pas la leur. Connaître ses participants, ses visiteurs devient donc essentiel à la prise de position et à sa projection dans l’espace. Finalement, nous revenons aux questions fondamentales : quelle histoire veut-on raconter, à qui et quels narrateurs seraient-ils les plus pertinents pour ce faire ? Les Salons permettent de vivre de belles histoires, il faut maintenant oser les raconter…

À propos de l'auteur

Marie DURAND YAMAMOTO

Marie DURAND YAMAMOTO

Narrative Environments and Experience Designer

« Marie Durand Yamamoto - Fondatrice de mono • hito • koto - Concepteurs d'environnements narratifs
Avec sa double casquette Ingénieur mécanique / Designer d’espace, Marie s'attache à remettre les émotions et aspirations humaines au coeur des projets immobiliers. »

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